samedi, août 27, 2005

Le Terrible Secret de Mme Bidule

M. et Mme Machin furent accueillis dans la boulangerie par le retentissement agressif d’une clochette artificielle. Les pains, croissants et gâteaux inspectaient seuls les nouveaux venus d’un œil industriel fraîchement décongelé. Enfin, un bruit de pas se fit entendre, et la boulangère fit une entrée remarquable, tandis qu’elle échangeait avec ses fidèles clients un regard qui leur indiquait qu’ils n’étaient pas venus pour rien.
« Comme d’habitude ? demanda t’elle.
- Oui, répondit Mme Machin, s’appuyant sur le bord de la caisse tant le poids du suspense lui était insupportable. Comme d’habitude. »
La boulangère emballa deux croissant et une baguette, avec un air satisfait. Elle posa le tout devant Mme Machin, et, comme elle sentait que le moment parfait était venu, se pencha vers son auditoire, et dit lentement, démoulant chaque syllabe avec un savoir faire de premier artisan de France :
« Vous connaissez pas la dernière ? »
Mme Machin devint livide de délectation, et M. Machin se serra derrière son épouse pour ne pas en perdre une miette.
« Non, firent-ils en choeur, avec des yeux plus grands et plus brillants que les abricots confits qui les observaient depuis le coin de la vitrine.
- Madame Bidule, lança la boulangère, pinçant ses lèvres en en remontant les coins avec fierté, réalisant ainsi la meilleure reproduction de sourire de chimpanzé que le présentoir de chupa chups ait jamais vu.
- Quoi donc ? » insista Mme Machin, à bout de souffle.
Alors, la boulangère posa ses mains de part et d’autres de la caisse enregistreuse, et laissant un instant lever la pâte, elle fourra méthodiquement ses poumons d’air, et versa sur son visage un coulis de solennité dont la recette restera à jamais secrète. Face à la transfiguration de la boulangère, Mme Machin manqua de perdre connaissance. Mais les mots qu’elle attendait tant sortirent enfin du four :
« Beh, son fils. »
Les mouches elles-mêmes suspendirent leur vol. Un beignet rassis, bouche bée, laissa s’échapper une goutte de confiture. La boulangère, victorieuse, se redressa, et hocha la tête comme pour assurer son public incrédule de l’inéluctable véracité de cette révélation.
M. et Mme Machin, encore secoués, se redonnaient une contenance, et Mme Machin fit le seul commentaire qu’une nouvelle de cette envergure pouvait recevoir :
« Et ben, j’aurais jamais cru… »
Une fois leurs achats réglés, Ils ne tardèrent pas à prendre congé de leur informateur, car, ils le savaient, cette intelligence qu’ils partageaient désormais avec les mini quiches et les milles feuilles devait être transmises à un monde qui, soudainement, leur semblait ignorant.
« Passons à la boucherie. » dit Mme Machin à son conjoint.