jeudi, novembre 17, 2005

Les Autres, 1ère partie

Une voiture me dépassa avec le vrombissement bref et saisissant d’un insecte d’acier. Des canards prirent unanimement leur envol depuis une mare voisine. Mes yeux se tournèrent vers eux plus vite que ma tête, et mon cerveau vacilla dans ma boîte crânienne avec le sentiment que le monde touchait à sa fin. Mais aucune ténèbre ne le recouvrit, et le sentiment se dissipa.
Des contrés de coton gris s’attardaient au-dessus des bois : des sommets enneigés flottaient au-dessus de pentes recouvertes de pins funestes que bordaient de pâles vallées hivernales. Le tout se reflétait dans un lac de vacuité au fond duquel je foulais seul et d’un pas ennuyé le sol de l’Atlantes tant espéré.
Tandis que je me retournais, une autre voiture se dessina à l’horizon, sous une arche de branchages. Irréel dans la distance. Lever le pouce droit. Regarde-moi. Ils pouvaient ne pas me voir dans la pénombre de cette fin d’après-midi. Ils pouvaient décider de s’arrêter au dernier moment.
C’est ce qu’ils font d’habitude. « J’l’avais pas vu ! Avançons le un peu. » Ou pas. Regarde-moi. Continue ton chemin.
« Pauvre gamin. L’a pas l’air bien. Tous des junkies, j’te l’dis. » Il ne me restait pas plus de cinq kilomètres. Autant profiter de la promenade. La campagne.
Quelque chose bougea dans les bois.
Un craquement. Certainement quelque chose de gros. Mes yeux sondaient le camaïeu verdâtre de buisson dégénérés. Puis, je le vis. Il y avait de la peau au milieu de ces feuilles. Une peau pâle, maladive. Quelqu’un me regardait. Quand nos yeux se croisèrent, il s’enfuit.
Je courus aussi, sans savoir pourquoi. Quelque chose de drôle était en train de se produire. Quelque chose d’excitant, du moins. Je sautais par-dessus le fossé, trébuchai parmi les orties et les ronces, et courus droit vers l’endroit ou le carré de peau avait disparu. Suivre le bruit des branches cassées. Mais on l’entendait à peine. Qui que ce fût, il était certainement bien plus habitué au bois que moi.
Et bientôt, tout était calme. À bout de souffle. Je voulais m’asseoir, soulager mes jambes de mon propre poids, et laisser mes tempes se rafraîchir. Me reposer au pied de l’arbre le plus proche, renard épuisé par une chasse infructueuse. Mais un craquement résonna un peu plus loin devant. J’étais sur le point de courir lorsque je réalisai : aucun autre bruit ne venait de cette direction, pas de bruit de pas. Pourtant, personne ne pouvait se cacher là sans que je le vis. Alors, je me retournai vers l’arbre le plus proche… et compris.
On voulait me distraire.
Je sentais son souffle à travers le tronc, sa présence recroquevillée, impatiente, ses yeux inquiets tournés vers le sol pour ne pas rencontrer ceux de l’intrus. Je fis le tour de l’arbre, et pensai que j’étais peut-être fou, paranoïaque solitaire au milieu des bois. Mais, au détour du tronc se dessinèrent bientôt une paire de mains crispées et maigres, un profil tremblant qui m’était tellement familier, peut-être même trop. Une vague lueur de reconnaissance tout d’abord. Et puis, son faciès enragé, terrifié défia mon effroyable béatitude avec un râlement.
Sergei Paradjanov federico fellini guy bourdin olivier theyskens
A suivre...