vendredi, novembre 18, 2005

Les Autres, 2ème partie

Et puis, son faciès enragé, terrifié défia mon effroyable béatitude avec un râlement.
L’immobilité. Ces yeux brillants posés sur moi comme deux pierres froides. L’incertitude qui me ronge : lequel suis-je ? Lui ou moi. Les joues creuses, le nez pâteux, la mâchoire à la fois délicate et carrée, les yeux verts en amandes avec un anneau de bronze autour de la pupille. Deux pierres froides. Lui ou moi. L’impression d’être face à un miroir. Mais il n’imitait pas mes gestes, ni mon expression. J’ignorais qui devait réfléchir l’autre. Moi, peut-être, car il semblait tellement plus fort, plus féroce, tandis qu’il se levait, qu’il me bousculait, et s’enfuyait. Je prenais sa place contre l’arbre et me laissai glisser à terre. Me reposer au pied de l’arbre le plus proche. Mon cerveau, une sphère de verre et de chrome, lourde et inutile dans mon crâne. Je levai les yeux.
Il s’était arrêté.
Ses traits peignaient toujours la même scène sauvage et inquiétante, mais avec quelque chose de plus. De la haine, pensai-je. Et de la pitié. Il était moi. Il était plus moi que moi, et il pouvait me dire comment être moi, je voulais qu’il me dise comment être moi, comment l’être facilement. Mais je ne savais pas comment le formuler. Je ne savais comment me parler. Peur de ma voie.
Peur de la sienne.
À mon tour de me lever, malgré le manque d’air dans mes poumons soudainement flétris et douloureux, malgré le vertige, comme si on avait retiré la terre de sous mes pieds pour me faire tomber dans le vide. Je voulais m’approcher de lui, mais j’avais peur de lâcher l’arbre, peur de me tenir debout, seul, face à lui, comme lui. Je tendis la main. Il fit un pas en arrière. Je ne pouvais pas le laisser partir. Je ne pouvais pas être seul, sans lui. Un frisson dans les viscères. Je fermai les yeux et me jetai sur lui, et je sentis sous mes doigts la peau huileuse et blafarde de sa joue gauche, et, de mes ongles, je lacérai la chaire tendre, et retombai à plat ventre sur le sol moite et noirâtre. Mes paupières s’écartèrent juste à temps pour voir l’écorchure rouge que j’avais fait disparaître dans un labyrinthe de feuilles. Me lever et suivre. Maintenant je le voyais, puis je ne le voyais plus, puis il prenait un mauvais virage, et je gagnais du terrain, et il trébuchait contre une racine affleurante, et je trébuchai dans ses jambes, et tombai sur lui.
Lui ou moi.
Il ne chercha pas à se dégager. Nous n’essayâmes pas de détourner le regard l’un de l’autre. Le paysage fascinant d’un iris dont je connaissais chaque détail. Mais cette fois ci, je pouvais presque le toucher. Pas de verre entre nous. Je sentais son haleine, son odeur de drogue froide et de sueur angoissée. Odeur de sucre sal et de bois pourri. Je sentais ses muscles raides au travers de ses vêtements poisseux et trop grands, ses côtes proéminentes contre les miennes, et j’étais submergé par une extase anxieuse. Je le connaissais, lui et son corps, mieux que quiconque. Lui aussi. Ses lèvres si proche des miennes, la même température. Mais il y avait du sang sur les doigts que je posais sur sa joue gauche, et pas une égratignure sur cette dernière.
L’écho d’une branche cassée derrière nous. Bruits de pas foulant l’humus.

A suivre...

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

je découvre ta vie d'à côté... fascinant.
adeline

10:26 AM  

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