jeudi, février 16, 2006

Les Autres, 3ème Partie

L’écho d’une branche cassée derrière nous. Bruits de pas foulant l’humus.

Une main m’attrapa par derrière, se faufilant de ma hanche jusqu’à mon torse avec une tendresse calculée, et me souleva avec une maladresse qui me parut naturelle. Les mêmes gestes, résilience des faibles. Un air de compassion se diluait dans les traits de mon reflet. Un regard entendu pour l’autre derrière moi, aussi. Je ne voulais pas voir. Mais sa main gauche grimpa le long de mes côtes telle une araignée, sur mon visage, me caressa le menton avec une virilité inconsciente qui me donna la chair de poule. Ses doigts pressèrent la peau glacée de ma joue droite avec une excitation languissante, et tournèrent mon visage vers lui-même, encore. Le palais des glaces.

Et encore, à côté du rictus, sous les yeux brillants, pas de griffure. Pas de sang. Rien que son haleine qui s’insinuait par ma bouche entre ouverte. Sucrée. Soif.

Les battements de mon cœur dans le silence du bois. Deux fois le reflet de mon regard, fixé sur ma peur, mon désir. Promiscuité. Celui qui était encore à terre se leva et vint à nous, mit une main sur mon bras et l’autre sur l’épaule du troisième, tremblant de délice, notre peau contre la notre, synergie microscopique de cellules pleinement compatibles. Alchimie du même. Fuir. Pourtant, je voulais que cela arrive, je voulais que ça m’arrive. Mes yeux rivés dans les miens, et les lèvres qui chuchotent :

« Toi. »

Brusque et sec comme le bruissement d’ailes d’une chouette. Et l’autre :

« Toi. »

Derrière un buisson :

« Toi »

Et à l’ombre d’un arbre :

« Toi »

Des ailes blanches giflèrent l’air, tournoyèrent autour de moi, de plus en plus proches. Toi. Toi. Toi. Une tête émergea d’un buisson, des doigts de derrière un tronc, des pieds descendirent d’un arbre. Toi. Toi. Toi. L’un d’entre eux, sur la joue : une griffure, du sang, bientôt noyé dans le motif répété à l’infini de mon visage.

« Toi. »

Fuis.

« Toi. »

Des lèvres, humides, dans mon cou,

« Respire. »

Sur mon torse,

« Reprend ton souffle. »

Descendant le long de mon ventre,

« Supplie-les »

Des cieux de coton qui s’assombrissent, bleus et gris du coucher d’un soleil depuis longtemps oublié,

« Ne me laisse pas. »

Des voitures qui me dépassent avec le vrombissement bref et saisissant d’un insecte d’acier,

« Ne me laisse pas. »

Un flux incessant de cieux nuageux, vide, brumeux, gris, bleus, blanc, noirs, se précipitant au dessus des champs et des villes, des maisons et des vies, des foyers et des enfers,

« Aide-moi. »

Les secrets et les jeux, le silence et l’intimité, des voiture qui dépassent leur vie, un millier de lèvres, la même saveur,

« Aide-moi. »

Un millier de regards qui expriment ce qui ne fut jamais dit, des gens qui me dépassent, adolescent en overdose dans un bois en bord de route,

« Laisse-moi. »

Perdant conscience, laissé, entre mes mains. Moi seul, fermant les yeux,

« Tue-moi. »

mes paupières dissimulant les cieux qui se précipitent, les voitures qui me dépassent, le bruissement d’ailes des chouettes, les gens et leurs secrets…

Le noir.

Puis, je me réveille, l’un des leurs.